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Rory Gallagher

Rory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul…

Plus le temps passe, et plus l’écart se creuse entre les supposées stars mythiques des périodes héroïques et leurs contemporains à peine moins renommés. Il distord la perspective, accentuant ainsi des décalages qui n’existaient pas alors, ou les accroît démesurément. Et, le plus souvent, injustement. Quand on cite les grands guitaristes britanniques responsables du si …

mardi 14 février 2012
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Plus le temps passe, et plus l’écart se creuse entre les supposées stars mythiques des périodes héroïques et leurs contemporains à peine moins renommés. Il distord la perspective, accentuant ainsi des décalages qui n’existaient pas alors, ou les accroît démesurément. Et, le plus souvent, injustement. Quand on cite les grands guitaristes britanniques responsables du si fertile « blues boom » de la fin des années 60 et de toute la décennie 70 ( jusqu’à la révolte Punk incluse, car les Rotten, Strummer et cie, même au faîte de leur bienheureuse ignorance, « sentaient » l’authenticité du méchant blues urbain de ces aînés-là, et les en respectaient un minimum au moins pour ça…), il n’est pas rare de porter aux nues les noms d’ Eric Clapton, de Jimmy Page, voire de Jeff Beck, mais qui se souvient de leur mentor, John Mayall, ou du brillantissime mais tant erratique Peter Green, « quatrième mousquetaire » et véritable fondateur de Fleetwood Mac ?

Et Rory Gallagher, alors, leur fougueux pair d’Irlande, il compte pour du beurre ? Rory, pourtant, n’était pas loin, à ses heures, de leur damer le pion à tous d’une prodigieuse ruade de sa Stratocaster, ou d’une salve de refrains meurtriers comme seule sa voix de naufrageur savait les expédier. Rory le modeste bilieux, l’éternel artiste insatisfait de son art et que, cependant ou pour cause, Jimi Hendrix soi-même adorait pour l’originalité et le panache de son inimitable, indomptable feeling !..

 

Rory Gallagher est né le 2 mars 1948 à Ballyshannon, non loin du port de Cork, à 100 kms au sud de Dublin. Son père est ouvrier, mais aussi accordéoniste à ses heures (et au pub…) ; sa mère chante et danse, au foyer comme sur les planches du théâtre local (lequel porte aujourd’hui le nom du fils prodigue…) Rien d’étonnant à ce qu’à 9 ans, il reçoive sa première guitare, puis le ukulélé qui va bien pour faire ses gammes sur les deux. A douze ans, en 1960, il découvre en même temps la « folie » Lonnie Donegan, du nom de ce musicien qui popularise le « Skiffle », cet ersatz de blues US mêlé au folk tradi des Iles britanniques – et qui fût, à Liverpool, la première idole d’un certain John Lennon ; Rory se montre si leste dans son exercice de la guitare skiffle acoustique qu’il y gagne force prix, avec l’argent desquels il s’offre sa première guitare électrique. Puis c’est l’engrenage : découverte du folk américain et de Woody Guthrie, et surtout initiation au blues lui-même, sous toutes ses formes et latitudes, et qui toutes le fascinent, du blues rural pratiqué par Leadbelly à sa suprême incarnation urbano-électrique : Muddy Waters. Or, pour bien jouer Muddy, il faut une bonne guitare : et c’est ainsi que le jeune virtuose de 15 ans acquiert, par correspondance et pour une centaine de livres, la stupéfiante Fender Telecaster 1961 « Sunburst » qui accompagnera toute la vie de ce serviteur sans compromis d’un blues qui sent tout autant la tourbe d’Irlande que le limon des rives du Mississipi. Serviteur, mais pas dévot : en 1963, déjà maître ès picking et slide guitare, Rory s’apprête à maîtriser le banjo, la mandoline, la basse, le dulcimer et…le saxo, tous instruments pratiqués dans les « showbands » de Cork et Dublin ; ce qui l’entraîne à rejoindre un sextet qui va jusqu’en Angleterre jouer, en uniforme, les hits du jour…ou de la veille ; en quelques semaines, le jeune homme ébahi fait connaissance avec Chuck Berry, Eddie Cochran et…la Beatlemania ! Poches et oreilles pleines, deux ans plus tard, Rory fonde The Taste avec deux potes de Cork : beaucoup de blues, un peu de folk au cœur, des mélodies incendiaires signées Gallagher ; sur scène des flots d’énergie, de sueur et d’ardeur partagées : la réputation du power trio se répand telle une traînée de poudre jusqu’à Londres, où il devient en 68 Taste tout court, avant de jouer en ouverture du trio impérial, Cream, et d’enregistrer un inaugural album, « Taste », paru l’année d’après ; en 70 suivront « On The Boards », la première partie de Blind Faith et un passage inoubliable au festival de l’Ile de White. A 22 ans, Rory Gallagher est soudain l’égal d’un Steve Winwood, d’un Steve Marriott ET d’un Jeff Beck ou d’un Robin Trower : il sait tout faire et mieux encore, à fond et bien à la fois !

C’est pourtant en 1970 qu’il dissout Taste, trop « tendre » à son goût perfectionniste, pour entamer une quête de son graal musical en solo : dès 1971 et pour près des vingt années à venir, un album signé Rory Gallagher verra le jour à peu de choses près tous les quinze mois, au rythme quasi scientifique d’un live pour deux studio – ce qui fait, respectivement, 6 pour 12 ( y compris l’hybride, posthume et tout chaud encore « Notes From San Fransisco » …), sans compter une autre douzaine de compilations diverses, deux boxsets et une poignée de DVD fleurant bon les seventies envapées (hmm, Rory live à Francfort ou Essen, vers 1977, la chemise à carreau en nage et les yeux perdus dans les spots d’un quelconque « rockpalast » !!…)

Sans paillettes ni la plus minuscule concession aux tendances pop de ces temps-là, sans autre campagne de pub que ses 200 concerts par an dont chacun s’achève sur les rotules de chaque participant, comme sur le devant la scène, le XV d’Irlande à lui seul finira par vendre 30 millions d’exemplaires de ses œuvres, ce qui dépasse Van « The Man » Morrison et rive son clou au Thin Lizzy de l’ami Phil Lynott ! Rory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul…Pourquoi ? Parce que la musique de Rory et sa façon de la présenter au public ne font qu’un, comme une équipe de rugby soudée mais déliée, toujours à l’offensive et ne craignant rien ni personne, mais n’oubliant jamais qu’aucun score ne vaut la beauté du jeu…Rory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul…

Témoins, en bloc comme séparément, ces six premiers albums – 4 en studio et 2 live publiés entre 71 et 74, comme il se doit. « Rory Gallagher » est encore une sorte d’épure, d’entraînement ; mais déja s’échauffent deux rudes avant « Laundromat » et « Sinner Boy » (plus, en bonus, le « Gypsy Woman » de Muddy Waters ). « Deuce » est un vrai match à domicile, Rory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul… « I’m Not Awake Yet » une superbe feinte au centre avant déploiement sur les deux ailes « Crest Of A Wave » et « In Your Town » . « Live In Europe » (72) remet le tout en jeu à l’extérieur, et là, pas de quartier, c’est Attila en meute et à la charge : visez un peu ce « Bullfrog Blues » fracassé, tripes à l’air ! Nouvelle saison (73) avec le doublé « Blueprint » / « Tatoo », dont la ligne d’attaque en ciseau à noms d’un coté « Daughter Of The Everglades », « Seventh Son Of ARory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul… Seventh Son » et « Stompin’ Ground », de l’autre « Tatoo’d Lady », « Cradle Rock » et « A Million Miles Away » : il plût des trophées comme il pleut sur Belfast…

Quant au « cœur » du sujet, cet « Irish Tour 1974 » de légende rouge et or, c’est justement

 

Rory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul…en partie à Belfast qu’il fut enregistré. Où les tenants de la sanglante guerre civile du Nord attendaient le héros pacifiste du Sud de pied(s) menaçant(s) : c’est entièrement « à la main », et voix nue dans les yeux cagoulés qu’il leur servit son « irish stew » de folk allumé, de blues cramoisi et d’amour vache en plein entre les poteaux, une fois, deux fois…dix fois !..

Rory Gallagher, ou le XV du Trèfle ET du blues à lui tout seul…

L’unique adversaire vraiment coriace qu’eût jamais Rory Gallagher, c’est la « troisième mi-temps » : tel un ver (de James Joyce ?) dans le fruit, peu à peu, au vestiaire, le foie trop malade grignota ce cœur trop offert (en juin 95, après encore une fameuse volée de « drops »-canon !..)