Johnny Cash
Sortie de Bootleg 3 : Live Around The World
Qu’est-ce que Johnny Cash aurait bien pu penser de Bootleg Vol III ? Il s’agit, sans vouloir être trop prétentieux, de l’un de ses albums triomphants qui le fait entrer dans l’histoire, celle de l’Amérique et celle de la musique. Johnny Cash a été un personnage historique — une légende, pour toutes les bonnes raisons …
Qu’est-ce que Johnny Cash aurait bien pu penser de Bootleg Vol III ? Il s’agit, sans vouloir être trop prétentieux, de l’un de ses albums triomphants qui le fait entrer dans l’histoire, celle de l’Amérique et celle de la musique. Johnny Cash a été un personnage historique — une légende, pour toutes les bonnes raisons qui font qu’on a besoin de légendes — mais c’était aussi quelqu’un d’humble. S’il était fier de jouer à la Maison Blanche, suffisamment d’ailleurs pour y amener son père et le citer sur scène, il restait néanmoins un gars qui avait grandi dans une ferme de l’Arkansas à Dyess et qui avait toujours eu conscience des conséquences qu’entraînent un trop grand éloignement de son milieu d’origine. D’où, encore plus qu’une profonde humilité, son manque total de prétention. Et ça, c’est quelque chose dont on peut être fier sans complexe.
Difficile en écoutant Johnny Cash, tout aussi respectable et franc soit il, de ne pas être sensible à l’ironie de ce concert donné à la Maison Blanche en 1970, après avoir été présenté avec respect et humour par le Président Richard Nixon. Mais une fois encore, ce n’est pas beaucoup plus étonnant que d’entendre la présentation élogieuse et affectueuse que fait de lui l’un des pionniers de la musique folk, Pete Seeger.
Dans Bootleg Vol III, Johnny Cash ne joue pas seulement à la Maison Blanche, même si c’était déjà pas mal. Il donne un concert —une version de son concert —au Newport Folk Festival en 1964 ainsi qu’à l’aéroport de Long Binh au Vietnam cinq ans plus tard. Il joue également pour des prisonniers en Suède et pour des cadres de maison de disques à Nashville. Il joue aussi, comme il l’a fait plusieurs milliers de fois, pour des fans de musique country et folk à Dallas et Wheeling, au Carter Fold en Virginie et au New River Ranch au Maryland devant des tas de gens qui n’ont vraisemblablement jamais pris autant de petits-déjeuners dans des relais routiers que lui, ni passé autant longues nuits dans des bastringues entre quelques moments de bref répit dans des motels ou même des petites églises de campagne.
Cash s’est toujours montré à la hauteur des situations, même avec une pneumonie au Vietnam ou une gorge desséchée à Rhode Island. Ce disque rassemble certaines de ses meilleures interprétations, notamment celles de : “I Still Miss Someone” à New River Ranch, “Don’t Think Twice, It’s All Right” à Newport à la demande du compositeur (qui a pu entendre les paroles de sa chanson escamotées), “Sunday Morning Comin’ Down” à la prison d’Osteraker en Suède, “I’m Just An Old Chunk Of Coal” de Billy Joe Shaver au Exit Inn de Nashville, “Cocaine Blues” à Long Binh et “He Turned The Water Into Wine” à la Maison Blanche.
Il demeure néanmoins à chaque fois Johnny Cash, en train de se mettre en scène. S’il ne s’était pas excusé pour sa pneumonie ou d’être assoiffé, jamais nous n’aurions pu le deviner. On ne peut pas toujours savoir ce qui se passe juste en écoutant les chansons. Encore une fois, toute la question est de s’adapter à la situation : à Newport, il n’y a pas de batterie – elle est remplacée par un tapotement à la guitare acoustique. Ce qui est pour le moins étrange lorsque l’on sait que Johny Cash a déclaré sans exagération sur la radio country Wheeling Jamboree que W.S. Holland est “le meilleur batteur du monde”. Tout comme il peut aussi sembler étrange de le retrouver à la Maison Blanche, accompagné d’un groupe et d’une chorale au complet.
Mais tout cela fait partie du personnage de Johnny Cash. Tel qu’on le retrouve d’une certaine manière tout au long des 23 années retracées dans Bootleg Vol III. Chaque morceau apporte quelque chose de frais et de nouveau, car à chaque fois que l’on découvre de nouveaux aspects de Cash on a l’impression qu’il déniche aussi de nouvelles facettes de lui-même. Ainsi tout comme il peut chanter “Ballad Of Ira Hayes” devant un public totalement en phase avec ses sentiments sur le racisme et l’injustice, il peut également interpréter les deux faces de son nouveau single “I Walk the Line” / “Get Rhythm” au Big D Jamboree à Dallas en 1956.
A la Maison Blanche, il dévoile un autre aspect. Au beau milieu de son set, il se lance dans une – longue – digression sur le besoin de nouveaux chants ‘spirituals’ aux Etats-Unis qu’il se doit chanter compte tenu du succès de son émission à la télévision. Il interprète “Jesus Was A Carpenter”, puis parle de la jeunesse et du ‘terrible problème’ de la drogue sans se défiler puisqu’il n’hésite pas à évoquer sa propre expérience dans cette “mauvaise voie”. Il parle d’un poème qu’il a écrit “à la jeunesse américaine… qu’il soutient. C’est ce que je ressentais à l’époque. Peut-être que j’essayais de redevenir un gamin”. Il interprète ensuite “What Is Truth”. Pour Richard Nixon.
Les applaudissements qu’il reçoit sont alors sensiblement identiques à ceux qui avaient accueillis “Jesus Was A Carpenter”. On sent chez lui une sorte d’intégrité quasiment irrésistible. Johnny Cash en était presque l’incarnation.
Que ce soit à la base militaire américaine de Long Binh au Vietnam ou à Newport, il chante à peu près autant de chansons folks. Qu’est ce que ça faisait à des jeunes soldats, en train de passer une soirée de détente dans un bar, d’entendre une chanson comme “Wreck Of The Old 97” ? A peu près la même chose que pour les fans de folk écoutant “I Walk The Line”. Entre les applaudissements de la Maison Blanche (fort similaires à ceux de l’émission de radio Wheeling Jamboree et de la convention de CBS Records), ceux plus enthousiastes, mais néanmoins mesurés, de Newport et ceux plus déchainés, accompagnés de hurlements et de cris de cowboy, de soldats réunis dans un bouiboui improbable, les réactions qu’il suscite sont parfois quelque peu différentes.
On peut aussi apprécier dans ce disque l’évolution d’un interprète, qui a visiblement pris de l’assurance entre ses prestations un peu ‘amateur’ de New River Ranch en 62 et cette sincérité rodée (il n’y a pas d’autres mots pour la décrire) avec laquelle il présente des chansons come “Ragged Old Flag” et “One Piece At A Time” au Carter Fold en 1976. Le gamin qui imitait Elvis Presley aurait été incapable d’affronter le Président avec une telle sincérité et encore moins un tel calme. Il n’aurait pas non plus été capable d’enchaîner avec une telle aisance entre un morceau très patriotique et autre à propos des vols de voitures comme au Carter Fold.
A un moment donné, lorsque son succès a commencé à se compter en années et non plus en mois, Johnny Cash a dû se dire qu’il allait essayer de tout raconter. Ce qu’il ressentait, ce qu’il savait. Il allait essayer d’évoquer ce qui l’intéressait : l’histoire, la justice, le travail, l’idée de l’Amérique, comment gérer les petits et les gros problèmes. Il allait interpréter les chansons que les autres avaient écrites sur ces questions et, quand il le pouvait, écrire les siennes. Il allait traiter son public avec respect et être un leader. Il allait essayer d’être une source d’inspiration pour les autres et, une fois qu’il avait plutôt réussi, aider les nouveaux talents. (Demandez à Kris Kristofferson, pour ne citer que lui. Mais demandez aussi à Bob Dylan.)
Tandis qu’il gagnait en respectabilité, Johnny Cash a décidé de représenter les gens issus du même milieu que lui. Leurs histoires et leurs combats étaient les siens – il était toujours celui qui, dès à l’âge de 5 ans, avait commencé à ramasser du coton pour vivre. Mais en même temps il ne passait pas non plus beaucoup de temps à raconter à ces gens ce qu’ils avaient envie d’entendre. Si à la Maison Blanche il a dit la vérité à un homme puissant (tout en restant extrêmement courtois), soir après soir, il faisait quelque chose de bien plus difficile : il disait la vérité à ceux qui pensaient être impuissants. Le plus souvent il ne s’agissait pas de vérités politiques, mais plutôt de vérités sur le plan émotionnel, celles là même qui sont plus dures à cerner.
Quoi que Johnny Cash ait pu faire, il mérite d’être considéré pas seulement comme un chanteur ou un interprète ou, Dieu sait quoi, une légende. Il mérite d’être connu pour deux choses plus importantes. En tant qu’homme et en tant qu’artiste.
Et quoi que Johnny Cash ait pu penser, avec son honnêteté et sa fierté, cet homme et cet artiste méritent de ne jamais être oubliés. Cette musique, ces performances en témoignent de façon irréfutable.
Dave Marsh
Le double album Johnny Cash Bootleg III : Live Around the World sera disponible dès le 10 octobre 2011