Herbie Hancock
Les voyages de Herbie Hancock
Le parcours de Herbie Hancock, qui s’étend sur plus de 5 décennies, constitue à lui seul une page importante de la musique. L’ancien disciple de Miles Davis a, en effet, grâce à son travail, fait évoluer aussi bien les combinaisons rythmiques que les harmonies afin de tisser des passerelles entre différents styles musicaux.
Hancock défend depuis fort longtemps cette notion de fusion intelligente, où la quintessence et la pulpe essentielle de chaque musique se mélangent les unes aux autres pour créer des couleurs inédites qui ont su inspirer des artistes d’horizons divers : comment nier l’influence de Hancock sur la scène électronique avec sa maîtrise poussée du Vocoder ? Comment ignorer l’originalité de sa cuisine sonore qui, très tôt, a su mélanger instruments organiques et électriques ? Cette vision toujours large, comme un paysage capté via un objectif grand angle, vient d’un enseignement acquis auprès des plus grands maîtres.
Parmi ces influences notoires et directes, citons bien évidemment le légendaire Quincy Jones. Lorsque Jones devient le premier artiste noir à signer la B.O d’un film (« The Pawnbroker »), Herbie Hancock ne tarde pas à lui emboîter le pas en composant celle de « Blow-Up » en 1966. A l’aube des années 80, Hancock se frotte à une musique accessible, un funk groovy taillé pour les radios et les clubs. A l’instar de George Benson qui fait bouger la planète avec son « Give Me The Night » produit par Quincy Jones, Hancock embauche le compositeur Rod Temperton avec qui il imagine le délire funky de l’album « Lite Me Up ! ». A noter d’ailleurs que ces écarts « commis » par Benson et Hancock furent à l’époque hautement condamnés par les puristes Jazz, comme si ces enfants surdoués avaient pactisé avec le diable… Au final, ces tentatives musicales et les nombreuses autres expériences menées en studio et sur scène ont permis à Hancock d’asseoir une infaillible crédibilité aussi bien auprès de ses pairs que du grand public. Il fait partie des rares exemples de la musique contemporaine à avoir mené une carrière associant avec intégrité succès commerciaux et solide démarche artistique.
Autre filiation à 5 étoiles : Miles Davis. En mai 1963, Herbie rejoint le Second Great Quintet de son mentor (composé de Miles Davis à la trompette, Herbie Hancock aux claviers, Wayne Shorter au saxophone, Ron Carter à la basse et Tony Williams à la batterie). Davis croit en son poulain et l’encourage à de nombreuses reprises à utiliser ces fameux instruments électriques. C’est à cette époque que Hancock se familiarise avec le Fender Rhodes. Si ce son de clavier semble aujourd’hui si naturel dans la musique contemporaine, c’est grâce au travail et aux idées d’artistes tels Herbie Hancock. Au détour d’une séquence filmée pour le documentaire « I Love Quincy » d’Eric Lipmann (1984), Herbie effectue une brillante démonstration de « Fairlight » et explique que : « Ces instruments sont conçus pour être utilisés par l’homme. Ce ne sont que des outils, comme une hache est un outil pour couper du bois afin de construire une maison ou pour massacrer son voisin. De même, le synthétiseur est un outil qui peut assourdir et gêner la vie des autres ou bien un instrument qui produit un son agréable et qui enchantera le public. Tout dépend de celui qui s’en sert. On blâme facilement la technique : « C’est la faute de la machine ! » Mais c’est à nous de la brancher ! La machine ne fait qu’attendre qu’on la branche. (…) Nous programmons ces instruments, nous devons apprendre à en sortir les sonorités que nous souhaitons. »
La sortie du coffret « The Complete Columbia Album Collection 1975 – 1988 » permet d’étudier le séjour le plus long de Herbie Hancock dans une maison de disques (plus de 15 ans chez Columbia). On y retrouve les blockbusters comme Future Shock (1983), co-réalisé avec Bill Laswell. Propulsé par le titre « Rock It », cet album a permis d’exposer le talent de Hancock à un très large public. A noter que dans le clip de cette chanson, le musicien n’apparaît que très peu pour ne pas froisser les dirigeants de MTV qui à l’époque hésitent encore à programmer des vidéos d’artistes noirs.
Le coffret permet également de retrouver une sélection de 8 albums dont la diffusion n’a été réservée qu’au public japonais pendant de longues années. Les voici réunis sous format CD pour la première fois dans un box set qui fait fi de toute frontière. Parmi ces perles rares, notons la présence de deux albums de V.S.O.P. (quintet qui reprend le même casting de celui créé par Miles Davis dans les années 60, sauf que ce dernier est remplacé par le trompettiste, Freddie Hubbard. Malgré de nombreuses rumeurs, Miles Davis ne réintègrera jamais cette glorieuse formation, NDLR) : « Tempest In The Colosseum », album live enregistré le 23 juillet 1977 au Den-En Colosseum de Tokyo et « Five Stars », l’unique album studio de V.S.O.P. (1979). « Dedication » (1974) est le premier album du coffret à raconter les aventures de Herbie au pays du soleil levant (suivi de près par « Flood », 1975). Hancock s’associe également avec la chanteuse japonaise Kimiko Kasai (également sous contrat chez Columbia) et publie avec elle l’album « Butterfly » en 1979. « Direct Step » (1978) propose une version de 15 minutes de « I Thought It Was You » (qui surgit pour la première fois sur « Sunlight » l’année précédente), avec cette fois-ci avec des arrangements toujours plus électroniques. Sur « Herbie Hancock » Trio (1977), Herbie rend hommage à Miles Davis en enregistrant une reprise de « Milestones ». La dernière friandise made in Japan présente sur ce somptueux coffret est une captation d’une de ses collaborations avec deux des membres du quintet magique : Ron Carter et Tony Williams (« Herbie Hancock Trio w/ Ron Carter + Tony Williams », 1981).
En 31 CD, les amateurs de musique peuvent enfin retrouver pour la première fois la saga la plus complète d’un musicien surdoué dont l’œuvre reste prisée et respectée aussi bien par les jazzmen que par les as de la musique électronique (de Robert Glasper à Daft Punk si l’on ne retient que les exemples les plus récents). « The Complete Columbia Album Collection 1975 – 1988 » propose un voyage musical et humain qui donne à l’auditeur l’opportunité de (re) découvrir et comprendre la philosophie de ce sorcier du son. Herbie Hancock ou une dimension sonore de tous les possibles : quand l’éclectisme évite toute facilité pour mieux repousser les frontières entre les genres…
Richard Lecocq